Chair Vive ou « La Cathédrale intérieure de Grisélidis Réal »
Réunies pour la première fois en un seul volume, les poésies écrites par Grisélidis Real tout au long de sa vie (de l’âge de treize ans à sa mort) forment une œuvre d’une cohérence et d’une force rares. Ce recueil est peut-être son œuvre fondamentale. Du symbolisme des débuts, au » récit » poétique poignant de la prostitution ou de la lutte contre le cancer, les poèmes de Grisélidis Réal racontent une vie, avec un art et une profondeur unique quand elle parle d’amour, de sexe, de maladie, de maternité… trouvant là la plus grande beauté.
Prochaines dates :
14 mars 2024 Cellules poétiques – Manoir de Martigny
https://cellulespoetiques.ch/14-03-chair-vive/
12 et 13 juillet 2024 Poésie en arrosoir – Cernier (NE)
https://poesieenarrosoir.ch/
Une lecture en mots et musique
Dans le flot actuel de la revalorisation des artistes femmes, mettre à l’honneur Grisélidis semble incontournable. Son destin de vie, mais ici, surtout et plus que jamais, son écriture poétique. L’acte de lecture a la vertu de laisser à l’auditeur-rice un espace mental pour donner forme et vie aux mots. Sans la prétention de vouloir incarner cette poétesse facétieuse et profonde, nous désirons faire résonner ses univers intérieurs, comme un vecteur, un transmetteur d’une parole. Prêter une voix pour faire entendre ou rugir son oeuvre, offrir par la musique un chemin émotif, tenter de partager, avec une respectueuse approche, la fugacité de la poésie.
En toute simplicité, la poésie est lue ou chantée, la guitare accompagne la mélodie des mots, et parfois un dialogue s’installe avec la poétesse, comme un hommage, un remerciement.
La langue est suave, douce ou rugueuse, elle se décline en français et en allemand, elle raconte des vies, avec ce quelque chose qui peut nous unir, l’espace d’une soirée.
Elle ne parle pas d’elle, elle parle depuis elle, aux autres, pour les autres.
L’œuvre de Grisélidis est une œuvre complexe, dérangeante et fondamentale.
« Écrivaine et peintre, Grisélidis Réal a gagné une majeure partie de ses revenus en tant que travailleuse du sexe — d’abord par contrainte, puis par vocation. Cet “autre” métier, loin d’avoir été tenu secret et discret, a au contraire constitué la source de la plupart de ses textes, et s’est entremêlé avec son identité d’autrice au point d’en devenir indissociable. L’écriture de soi, de son travail et de son engagement a permis à Grisélidis Réal de revendiquer ce choix de profession, et bien plus : de passer d’une représentation victimaire de la prostituée à l’expression d’une puissance en-dehors des conventions. Autrement dit, de transformer un destin subi en mission élective.
Son style est unique, fait de gouaille rageuse et drôle, de poésie ciselée. Elle défie toutes les conventions, avec ses mots terribles de révolte et de beauté qui démasquent toutes les hypocrisies de notre siècle et tentent de changer le regard de la société sur ces femmes maudites, dites putains, dont elle fut l’égérie. Elle a lutté toute sa vie pour que les prostituées soient respectées, remerciées, que la société les reconnaisse, que les lois les protègent et cessent de les stigmatiser et de les punir. »
Coraly Zahonero
Elle comme nulle autre a su, d’une voix tout à la fois féminine et conquérante, solaire et furieuse, hédoniste et spirituelle, triompher à exalter la beauté.
Repères biographiques de l’auteure
Grisélidis Réal est née à Lausanne en 1929 et morte à Genève en 2005. Elle grandit en Égypte et en Grèce jusqu’à la mort de son père lorsqu’elle a neuf ans. Diplômée de l’École des arts et métiers de Zurich en 1949, elle tente de gagner sa vie comme artiste peintre. À vingt-neuf ans, mère de quatre enfants de trois pères différents et divorcée, elle enlève sa fille et l’un de ses fils pour suivre son amant en Allemagne. Tombée dans la misère, elle se prostitue. Elle pratiquera ce métier, d’abord pour survivre puis comme militante et activiste, devenant l’une des figures de la « Révolution des prostituées» dans les années 1970 et cofondatrice en 1982 de l’association de défense des prostituées Aspasie.
Elle a notamment publié Le noir est une couleur, La Passe imaginaire, Carnet de bal d’une courtisane, Les Sphinx, Suis-je encore vivante ? et Mémoires de l’inachevé aux éditions Verticales.
Son destin sera parachevé de façon étonnante : quatre ans après ses obsèques, sa dépouille est transférée au Cimetière des Rois à Genève (où seulement les personnalités qui ont marqué l’histoire de la ville ont leur place), entre Calvin (son ennemi préféré) et Jorge Luis Borges (son modèle poétique).
Grisélidis Réal était toutes les femmes. Les populaires et les littéraires, les prostituées et les mères, les artistes et les amoureuses.
Femme
À tous mes Amants,
présents et futurs
Je dis Aube
Ma bouche est l’oiseau du sommeil
À minuit mes mains se déplient
De leur chrysalide charnelle
Un rêve obscur jaillit
Les fruits de mes seins éclatent
Et répandent leurs graines
Pour féconder la terre
Et consteller le vent
Je suis l’Unique
Indivisible
Et multiple
Je renais chaque nuit
Sculptée par vos caresses
Et guide vos visages
Vers de secrets univers
Méduse au corps de soleil
Où vous brûlerez vos ailes
Venez goûter à ma chair
Pareille à la grenade
Je vous donnerai l’oubli
Qui vous rendra éternels.
Genève, le 1er septembre 1965
(Poème écrit en n’ayant pas toute ma raison)
Rue
Je marche
Comme un gifle
Et comme un coup de poing
Dans vos gueules
Les pieds brûlés
Le coeur crevé
Dans vos rues
Ville de sang
Ville d’ordure
Aube décomposée
Sur vos bouches flétries
Et sur vos inutiles
Orgies
Transpiration
Suintant par tous les pores
À l’intérieur
De vos morgues
Habitables
Poussière
Luxe
Pourriture
Désespoir coagulé
Sur vos murs
[…]
Ecrit à Genève en marchant
La nuit du 18 au 19 octobre 1969
Mise en scène
Silence
La dernière porte
Se ferme sur nos cris
Silence
Le dernier spasme
Roule et s’évanouit
Silence
Le dernier masque
Est arraché sans bruit
Le rideau se soulève
Se déchire et dévoile
Un visage de pierre
Sculpté par le sommeil
De l’éternelle absence
Du repos apaisé
De l’ultime beauté
[…]
Genève, le 6 août 2003
Extraits
Tirés de « Chair vive », poésies complètes, Editions Seghers, Paris, 2022.
BIOGRAPHIES
Aline Chappuis, chanteuse, musicienne
Née dans le canton de Vaud et établie en Valais depuis 30 ans, Aline Chappuis est un mélange entre une autrice, compositrice, interprète et une fille sauvage née entre deux racines au cœur de l’automne. Dans ses mains elle porte, caresse, soigne ceux.celles qui croisent son chemin. Elle a une parole, une poésie qui lui est propre. Elle tisse des histoires qui lui sont essentielles, leur compose des musiques et les chante. Pour elle, être artiste c’est choisir les traces que l’on veut laisser, des traces de femmes dans l’histoire, dans un lien au monde et à ses fictions personnelles.
Il y a plus de 10 ans maintenant elle a rencontré Grisélidis Réal, son œuvre épistolaire, sa peinture et surtout sa poésie. C’est alors qu’elle commence à mettre en musique certains poèmes de l’autrice genevoise. Son travail de mise en musique se déroule en parallèle de ses projets personnels et parfois ils s’y entremêlent.
Aline porte fièrement la poésie, la beauté, la force de Grisélidis, dans une mise en lumière la plus fidèle possible de sa plume admirable.
Igor Schimek, musicien, fils de Grisélidis
Son rapport à la musique aujourd’hui? L’amour, l’amour de toute une vie. Aimer s’approcher du noyau de l’être, sombre ou lumineux; travailler les blessures et les extases, souffler dessus, comme l’haleine sur la vitre…
Musique improvisée ou répétée, venue droit du coeur ou passée par la mémoire, elle jaillit du bois et des cordes de la guitare. Avant les premières notes, il y a une tension, une surprise qui va naître.
L’Univers est vibrations, tout est relié avec tout, la musique danse autour des mots. Dès que ça joue on oublie tout, on se fond dans la musique – c’est à dire si on joue vraiment ou si on écoute vraiment. Elle peut parfois nous mettre en contact avec le mystère de notre véritable nature: être pur, conscience pure, félicité pure. Mais ce ne peut être ni décidé ni programmé, contrairement au « spectacle »; on s’en fout, on joue quand même.
©vidéo by David Gaudin, réalisateur